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Si je laisse assez longtemps dans ma poche (ou dans mon portefeuil) un ticket de caisse (ou un ticket de carte bleu), le contenu de ce ticket (ce qui est inscrit sur ce ticket) va disparaître. Et je vais me retrouver avec un ticket vierge (blanc). Un blanc assez beau d’ailleurs, un peu polis (presque nacré). C’est un phénomène qui est assez fulgurant. Le contenu du ticket peut disparaître en à peine quelques jours. Et c’est dû au fait que les tickets de caisse sont imprimés sur du papier thérmique.

Transformation d’un ticket de caisse en un ticket vierge

Quand on parle de document (et c’est ce qu’on est en train de faire, là, on est esn train de parler de documents), on a tout de suite cette idée qui nous vient en tête, qu’un document c’est l’union de deux choses. D’un côté un support, qui appartient plutôt au monde physique. Et de l’autre une information, qui appartient plutôt au monde des idées. Ce qui est étonnant dans l’exemple du ticket de caisse, c’est que c’est l’exemple d’un document dont l’information va totalement disparaître pour qu’il ne reste que le support. Et ça, ce n’est pas du tout banal. Pour beaucoup d’autres documents, ça ne se passe pas du tout comme ça. Prenons par exemple, l’exemple du papyrus. Le papyrus c’est un document très ancien avec en général tout un tas de signes incompréhensibles écrits dessus. Si on laisse vieillir ce document assez longtemps, on se retrouve avec ce qu’on appelle un fragment de papyrus. Et on voit qu’on a le support et l’information qui disparaissenten même temps.

Transformation d’un papyrus en un fragment de papyrus

En vérité c’est plus compliqué que ça, parce que les personnes qui travaillent avec ce type de document, en général elles sont capable de faire ce qu’on appelle prolonger les signes voir même parfois compléter les signes manquants. On a en fait l’exemple inverse du ticket de caisse : un document dont le support disparaît plus vite que l’information.

papyrus avec les signes complétés et prolongés

De toute façon, ce qui est commun à tous les documents quels qu’ils soient, c’est cette idée qu’un document a toujours une durée de vie limitée. Tous les documents sont voués à mourrir. Tous les documents sont voués à disparaître. Et ça, ça nous embête ! Parce qu’un document, justement ça sert à quoi ? Ça sert à fixer une information (qui, on l’a dit, appartient au monde des idées, donc est très volatile) à un support, pour la conserver dans le temps. Alors évidement le fait que tous les documents soient voués à mourrir ça nous embête. Et comme d’habitude quand quelquechose comme ça nous embête on trouve tout un tas de solutions, tout un tas d’inventions, qui vont par exemple permettre de ralentir la destruction du document : la pochette cartonnée (qui protège assez bien le document mais qui a l’inconvéniant de le masquer en même temps qu’elle le protège), la pochette plastique (qui protège un peu moins bien que la pochette cartonnée mais qui a l’avantage de garder le document visible tout en le protégeant). Et puis, bien sûr, des inventions qui vont permettre d’accélerer la destruction des documents : la déchiqueteuse (machine dans laquelle on insère un document et d’où ressortent plein de petites bandelettes), et des inventions plus sophistiquées comme la Xerox 530.

Xerox 530

La Xerox 530 c’est une machine qui a été commercialisée par Xerox dans les années 50. Elle a parfois été surnommée la duplikilleuse. Ça ressemble un peu à une grosse photocopieuse. Bien sûr, on est dans les années 50, les photocopieuses n’existent pas encore, mais c’est un peu le même principe. D’un côté de la machine il y a une fente par laquel on insére un document. Et de l’autre côté il y a une copie du document qui va sortir. Vous allez me dire que ça ressemble quand même drôlement à une photocopieuse. Alors oui, mais la différence c’est que la technologie qui est en jeu à l’interieur de cette machine fait que l’original est systématiquement détruit. En fait c’est un peu comme une photocopieuse qui détruit l’original.

Évidement, ça a été un gros échec commercial. Déjà ça coûtait très cher et puis surtout le fait que l’original était systématiquement détruit ça posait plein de problèmes. Comme par exemple si on avait oublié de remettre de l’encre ou du papier, on se retrouvait avec l’original détruit et pas de copie. Mais c’est quand même une invention qui a fait date, notament parce que c’est ce qui a permis par la suite à Xerox de commercialiser les premières photocopieuse qui ne détruisaient pas l’original.


On a évoqué une première règle, l’idée que les documents on tous une durée de vie limitée. Maintenant on va parler d’une deuxièrme règle, qui découle un peu de la première, c’est l’idée que les documents les plus interessants sont ceux qui disparaissent le plus vite. Attention, je ne dis pas qu’il sont plus interessant parce qu’ils disparaissent plus vite. Au contraire : il disparaissent plus vite parce qu’ils sont plus interessant. Et ça vous le savez si vous avez chez vous une collection de CD. Vous savez que vos meilleurs CD, vos CD les plus interessants, ceux que vous écoutez le plus, sont ceux qui vont le plus vite s’abîmer, se rayer, et être inécoutables. Et le destin de toute collection de CD c’est de voir ses bons éléments disparaîtres pour qu’à la fin il ne reste que les plus médiocres. Et ce qui est tragique c’est que c’est quelquechose contre lequel on ne peut absolument rien faire. Je ne peux pas me dire par exemple : OK, j’arrête d’écouter mes bons CDs comme ça ils arrêteront de s’abîmer. Parce qu’un bon CD, il n’est bon que si on l’écoute. Un CD qu’on n’écoute jamais, ne peut pas être bon, c’est un document dont on n’a pas accès à l’information, ce n’est presque plus un document.

Le meilleur exemple de documents qui ont une durée de vie proportionnel à l’interêt qu’on leur porte, c’est les dessins pariétaux dans les grottes préhistoriques. On découvre une grotte avec tout un tas de jolis dessins à l’interieur. Ces dessins au moment ou ils sont découverts ils ont déjà survecus à plusieurs dizaines de milliers d’années d’histoire. Pourtant, dès l’instant où ils sont découverts, leur durée de vie est réduite à moins de 100 ans. Comme on estime que c’est précieux, en général on fait ce qu’on appelle fermer la grotte au public, et on va construire une copie, un facsimilé de la grotte. Donc on choisi une autre grotte dans la même région (si possible une grotte où il n’y a pas déjà des dessins préhistoriques) et on y réalise la copie la plus fidèle dont on est capables des dessins de la première grotte. Et on va proposer au public de visiter plutôt celle-ci.

Grotte originale et sa copie

Qu’est-ce qu’on remarque, 50 ans plus tards ces dessins se sont déjà) abîmés, et alors on ne regrette pas d’avoir fermé la grotte originale.

Qu’est-ce qui abîme les peintures dans ces grottes préhistoriques ? Quand on lit la litterature à ce sujet, l’idée qui revient souvent c’est que c’est le souffle des visiteurs qui est la principle cause de déterioration des peintures. Ça ne veut pas dire qui les visiteurs soufflent contre les murs. Les visiteurs réspirent normalement, mais à force, ça fait des mouvements d’air qui vont petit à petit deterriorer les peintures.

Ça peut sembler difficile à croire cette histoire de souffle des visiteurs qui serait la principale cause de deterioration des peintures. Ça me rappelle un peu quand j’étais enfants et qu’on m’a expliqué que les bibliothèques gardaient leur volets fermés parce que les livres s’abîment à la lumière du jour. J’étais très jeune quand on m’a dit ça mais j’avais déjà eu des livres entre les mains, y compris en plein jour, et je voyais bien que ça ne faisait rien ! La vérité, c’est que les choses sont souvent beaucoup plus fragiles qu’on l’imagine. Et ça vous le savez, si parfois vous êtes en voitures avec des amis et que le ciel est très beau (vous savez quand le ciel est très beau, avec toutes les nuances de rose et d’orange), vous dites à vos amis : Oh ! Regardez comme le ciel est beau ! Et dès l’instant où vous dites ça, le ciel devient beaucoup moins beau. En général on avance deux hypothèses pour expliquer ce phénomène. La première c’est de dire que le ciel est surtout beau le matin et le soir, c’est à dire dans les moment où il change le plus vite. Donc le temps que ça vous prend de dire que le ciel est beau, ça suffit pour qu’il ait le temps de changer. La deuxième hypothèse, celle qu’on va privilégier ici, c’est de dire qu’en effet, certaines choses sont beaucoup plus fragiles qu’on l’imagine, et la beauté d’un ciel peut-être ne supporte pas d’être montrée du doigt ou juste nommée.

Est-ce que ça veut dire pour autant que la prochaine fois que vous serez devant un beau ciel vous allez devoir vous empecher de le dire à vos amis, pour ne pas gâcher la beauté du ciel ? Non ! Bien sûr que non. Parce qu’il ne faut pas non plus tomber dans le travers opposé qui est de dramatiser la fragilité des choses. Ce qui est un problème tout aussi grâve, dont on trouve aussi plein d’exemple dans la vie quotidienne. La dernière fois par exemple on était au restaurant avec des amis, on nous apporte le dessert, et là quelqu’un à ma table dit : C’est tellement beau, on a pas envie d’y toucher. C’est une remarque totalement idiote et un très bon exemple de dramatisation de la fragilité des choses. Bien sûr qu’il faut y toucher, c’est un dessert, c’est fait pour ça. Et si la cheffe a travaillé à que ce soit joli, c’est juste pour qu’on ait d’avantage envie d’y toucher, pas pour qu’on ait moins envie d’y toucher.

L’exemple qui m’a le plus marqué (presque traumatisé) de la dramatisation de la fragilité des choses c’est ce message qu’on trouve à l’arrière des livres scolaires : Danger, le photocopillage tue le livre.

Reproduction du message "Danger le photocopillage tue le livre"

Alors ce n’est pas le sujet de cette conférence donc on ne va pas parler ici de cet horrible jeu de mot qu’on a du supporté pendant toute notre scolarité. Ici on ne va parler que du fond, du sens de ce message. Qu’est-ce que ça veut dire que la photocopie tue le livre ? Tout simplement, ça veut dire que si vous êtes prof, et que vous faites des photocopies d’un livre scolaire pour vos élèves, vos élèves n’auront pas besoin d’acheter le livre, l’éditeur vendra moins de livre, l’année suivante il n’aura pas gagné assez d’argent pour imprimer le livre à nouveau, vous aurez tué le livre en le photocopiant.

Évidement la réalité est un peu plus complexe. La photocopie ne tue pas le livre au sens où on l’entend depuis le début de cette conférence, des documents qui sont voués à mourrir. Au contraire, quand vous allez dupliquer l’information sur differents supports vous allez lui donner plus de force, plus de vigueur. De manière générale, la copie et plus largement le faux, ça fait partit des actes illégaux que je trouve les moins amoraux. Alors que ça peut véritablement être considéré comme illégal de copier, des fois c’est même considéré comme très grave. Des fois pas du tout. Par exemple il y a cette histoire que j’aime bien, d’un faussaire américain qui s’appelle Marc Landis. On a retrouvé des faux tableaux qu’il avait peint dans plus de 50 musées différents aux États-Unis. Pourtant le jour où on a découvert que c’était lui, il n’a eu aucun problème avec la justice, aucune peine de prison, aucune amende, aucune poursuite. Pourquoi ? Parce qu’il n’avait jamais gagné d’argent avec ça. Sa technique c’était de prendre une fausse identité, se déguisait en riche donnateur, et aller voir des musées privés pour leur offrir de soit-disant toiles de grands maîtres (qu’il avait en réalité peint lui-même). Les musées étaient bien content, ils n’allaient pas trop chercher à savoir d’où ça venait. Et comme ce n’était que des dons, comme il n’a jamais gagné d’argent avec ça, le jour où on a découvert que c’était lui, il n’a pas eu de problèmes.

De la même manière si moi je décide de faire un faux seul chez moi, je ne risque rien, mais à partir du moment ou je décide de le vendre ça devient instantanément illégal. Dès que l’argent entre en jeu, ça devient grave. Le pire, c’est quand ce qui est faux, ce qui est copié, c’est l’argent. Le faux-monnayage en france ça peut aller jusqu’à 30 ans de prisons ! 30 ans de prisons c’est énorme, c’est sûre de faire plus, sans tuer quelqu’un.

Chez moi j’ai une collection de faux billets de 100 €. Je vous rassure ce ne sont pas des vrais faux billets. Ce sont des faux faux billets, des billets qui viennent je jeux de société, un tapis de souris imprimé d’un faux billet de 100 €, une boite d’allumette à l’image d’un faux billet de 100 €, un paquet de mouchoir, une tirelire, un rouleau de papier-toilette, un bloc-note dont chaque page est un faux billet de 100 €. Je voulais un vrai faux billet de 100 € pour compléter ma collection, je me suis un peu renseigné sur comment en obtenir et on m’a conseillé d’aller sur le darknet. c’est ce que j’ai fait, je suis allé sur un site qui s’appelait Dream Market, un site vraiment incroyable, tout ce que vous pouvez imaginer d’illégal, c’est en vente sur ce site. Et donc bien sûr il y a des faux billets.

Au final je n’en ai pas acheté parce qu’il y a un problème c’est que ça coûte assez cher. Les faux billets c’est jamais vendu à l’unité. Pour les faux billets de 100 € ce qu’on trouve minimum c’est des lots de 10. Et 10 faux billets de 100 € ça vaut dans les 400 €. Je n’avais pas cet argent à mettre dans ma collection de faux billets et puis je n’avais pas non plus envie d’avoir 1000 € en fausse monnaie chez moi, je pense que j’aurais un peu paranoyé. Mais en me baladant sur ce site, je suis tombé sur une annonce qui m’a beaucoup intriguée. Déjà parce que c’était un faux billet de 100 vendu à l’unité et aussi parce que son prix de vente c’était 120 €. Au début j’ai cru que j’avais fait une erreur de conversion (les prix étaient indiqués en bitcoin sur ce site). Mais après avoir refait le calcul plusieurs fois j’ai vu que je ne m’était pas trompé. Je suis allé voir la page du vendeur, il avait l’air serieux, et comme ça m’intriguait beaucoup, je me suis permis de lui écrire, pour lui demander comment il pouvait se permettre de vendre un faux billet de 100 € plus de 100 €. J’ai eu la chance qu’il me réponde, voilà sa réponse :

Capture d’écran du mail du vendeur